17 janvier 2023 – Au fait, c’est quoi la défense pénale? épisode 5/7 –  » à contre-emploi « 

J’assiste une victime d’un viol.

Je défends peu de victimes d’infractions. D’autres avocats défendent quasi-exclusivement des victimes. C’est le cas par exemple de notre associé Antoine Casubolo-Ferro, qui a notamment défendu de nombreuses victimes d’attentats terroristes, en particulier au procès des attentats du 13 novembre 2015, ainsi que des victimes de l’attentat de Nice du 14 juillet 2016. Des moments difficiles et douloureux.

Personnellement, ce n’est pas l’exercice que je préfère, pour différentes raisons.

Là, j’ai accepté d’assister une victime de viol. Parce que j’ai aimé l’humanité de cette femme. Parce que son histoire m’a touché. Parce qu’elle était vulnérable, et que personne ne l’aidait. Parce que son dossier dormait depuis plus de deux ans dans le cabinet d’un juge d’Instruction. Personne ne se souciait de son affaire.

Enfin, parce que j’ai cru son récit, et qu’elle semblait tout à fait sincère.

Le Juge d’Instruction, remplaçant le précédent, hésitait. Le Procureur, à la fin de l’enquête demandait un non-lieu, estimant que la preuve du viol n’était pas suffisamment rapportée. Le Juge entendait « correctionnaliser » le dossier, estimant qu’il y avait une plus grande chance de condamnation du suspect devant le Tribunal Correctionnel, et un plus grand risque d’acquittement devant une Cour d’Assises. Il nous demandait notre avis sur cette requalification des faits.

Après de longs échanges, ma cliente refusait. En effet, cela voulait dire qu’elle aurait renoncé, de sa propre initiative, à se voir reconnaître victime du viol qu’elle avait subi, pour être seulement reconnue victime d’une agression sexuelle, c’est-à-dire, de tout acte sexuel autre qu’un viol.

Nous fîmes appel de l’Ordonnance correctionnalisant les faits.

Devant la Cour d’Appel, le Procureur Général demandait lui aussi un non-lieu, dans le même ordre d’idée que son collègue…

La Cour d’Appel nous donna raison, et le mis en examen devenait « accusé » devant la Cour d’Assises, pour y répondre des poursuites de viol.

Le procès approchait, et craignant que le représentant du Procureur de la République ne soutienne à nouveau un non-lieu, toute l’équipe du Cabinet travaillait le dossier en l’analysant et en le décortiquant pour prouver que l’accusé mentait. Nous en étions intimement convaincus.

Au procès, je connaissais le dossier dans ses moindres détails, après avoir comparé tous les procès-verbaux, opéré des recoupements entre les différentes déclarations de l’accusé, entre les éléments matériels réunis par les enquêteurs.

Les contradictions de l’accusé rendaient ses explications incohérentes, et dès lors, peu crédibles.

Mon objectif était de démontrer que ma cliente était sincère, elle qui n’avait jamais varié dans ses déclarations, et que la version de l’accusé ne tenait pas la route, prouvant ainsi que les faits avaient bien été commis.

En outre, lorsque j’ai eu l’opportunité de poser des questions à l’accusé, ses contradictions et ses incohérences n’ont pas résisté à l’examen. Tout le monde, et notamment la Cour et les jurés, a vu que sa version des faits ne tenait pas.

Enfin, des éléments matériels du dossier et un témoignage sollicité par nos soins, finissaient par sceller le sort de l’accusé.

Je remplissais donc ma mission, et j’en étais heureux pour ma cliente, l’accusé ayant été reconnu coupable des faits qu’elle avait subis et dénoncés, et condamné à une lourde peine de prison.

Durant son récit des faits devant la Cour d’Assises, ma cliente avait exprimé toute la vulnérabilité dans laquelle elle se trouvait au moment des faits. Elle était malheureuse, empreinte d’un chemin de vie qui l’avait plongé dans la dépression. Et par dessus-cela, un individu sans scrupules l’avait violée, sans ménagement.

Elle ne comprenait pas pourquoi. Elle exprimait « qu’en plus, elle n’était pas belle, pas désirable« .

Je n’avais pas aimé ces mots de sa bouche, et je ne les aime toujours pas en les écrivant.

A la fin de ma plaidoirie, j’avais tenu à lui répondre, à lui affirmer qu’elle était belle, qu’elle était une belle personne, généreuse, gaie, pleine d’humour. Je lui avais adressé, à elle uniquement, ces derniers mots, en conclusion :

 » La beauté d’un femme n’est pas dans les vêtements qu’elle porte, la figure qu’elle affiche ou la manière dont elle se coiffe les cheveux. La beauté d’une femme se voit dans ses yeux car ils sont la porte de son coeur, l’endroit où réside son amour« . Audrey Hepburn.

Ludovic Loyer

A suivre –


 

 

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